« Hank, lève ton gros cul. On a rendez-vous.
_ Où ?
_ Chez le psy.
_ Qu'est ce que j'ai encore fait ?
_ C'est pour nous gros con, pour notre couple ».
Aller chez le psy pour notre couple ? A choisir, ce n'est pas la conduite que j'aurais adoptée. Autant se rendre directement à la souveraineté de Dieu. Et puis quelle drôle d'idée. Toujours est-il que ce mois-ci j'avais déjà refusé d'accompagner Hannah au cinéma et une autre fois au restaurant, en conséquent là, je n'y échapperai pas. Et puis une petit sortie pour m'aérer le fond du slip ça ne pouvait pas me tuer.
Je dénichais donc un froc, une paire de tennis pendant qu'Hannah essayait plusieurs tenues, de couleurs et styles différents afin de trouver celle qui collait le mieux à son Karma paraît il. Le mien puait la pisse d'ours. Elle était toute excitée, courait à travers la turne à la recherche de son tube de rouge à lèvres, de son sac et des talons assortis. De la panoplie exacte de sa connerie. Dans un puzzle, même immonde, chaque pièce compte.
Au final, c'est vêtue de la même jupe collée au cul, des mêmes bas troués accrochés aux mêmes talons, du même maquillage que d'ordinaire qu'elle est sortie de la piaule. Son Karma se payait une sale trogne. Je me marrais déjà en imaginant la tête du psy qui nous recevrait. Hannah fronçait les sourcils face à mon amusement, ce qui n'avait pas pour conséquence directe de la rendre plus jolie.
Sur la route j'ai mis le volume de la radio à une hauteur stratégique, qui m'empêchait d'entendre complétement les directives données par Hannah, sous ses regards inquisiteurs je dodelinais du chef. Partout où l'on pouvait se rendre ensemble, un brief de circonstance s'imposait. Ce qui, naturellement expliquait que l'on sortait très peu ensemble. En somme, on était indépendant. Moi dans la piaule. Elle, partout ailleurs.
J'ai garé la bagnole sur un emplacement réservé aux handicapés puis on est monté.
Le psy correspondait parfaitement à l'idée que je m'étais toujours faite d'un psy. Insignifiant. Prétentieux. Il est venu vers nous, tête haute, siège d'arrogance, main moite toute tendue. Belle attention. Il a reluqué Hannah des orteils aux oreilles, s'attardant quelques secondes sur ses jambes et sa poitrine avant de nous inviter à le suivre dans son bureau.
Le bureau d'un psy n'est pas plus original que son propriétaire. Une tapisserie faite de bibliothèques pleines de bouquins peut être jamais ouverts, au sol un tapis aux motifs exotiques, un sofa supposé assez confortable pour que l'on puisse inconsciemment se sentir autant en sécurité que contre le sein maternel, enfin un bureau destiné aux encaissements d'honoraires. Il faut bien vivre. Tout ce tableau baignant dans une lumière tamisée. Aussi limpide que la vérité.
Une fois le cul posé à la place des azimutés, le psy nous considéra d'un œil expert. D'abord individuellement puis conjointement. Peut être pour cerner notre responsabilité personnelle dans l'ignominieuse allégorie que libérait notre couple. Hannah jubilait, elle s'en frottait les mains. L'ennui me rongeait. J'étais à ce moment précis une planche de bois humide à la merci d'un bataillon de termites affamées.
Une série de questions insipides servit de prologue au jugement de nos esprits. L'occasion manifeste pour Hannah de s'illustrer dans ce quelle maitrisait comme une seconde nature. La connerie. Ensuite le psy vint gratter la merde collée à nos âmes. Il tourna vers moi ses yeux caverneux encerclées de lunettes qui lui permettait sans aucun doute de lire directement le fond de nos cœurs. Il me demanda comment je vivais ma relation de couple au quotidien.
_ « Comme une interminable cuite. Parfois j'en gerbe » lui répondis-je presque naturellement.
Ses sourcils se mêlèrent aux mèches de cheveux qui tombaient sur son front. Un silence figea le temps. On se dévisageait. Il avait levé les yeux de son calepin sur lequel il prenait nos dépositions respectives. La plume en l'air pour le moment il m'analysait. Et j'en bandais presque. Mon visage était traversé d'un sourire sardonique. Soudain il se tourna vers Hannah qui trépignait en attendant son tour.
« Et vous madame ? »
Elle s'éclaircit la voix d'un raclement de gorge. Le rossignol roucoulait avant d'entonner sa mélopée. C'était parti pour un flot de paroles, fangeux, ininterrompu.
« Moi je vis notre relation comme si j'avais à m'occuper quotidiennement d'un fou. Il est imprévisible. Un soleil en pleine nuit. » et bla, bla, bla …
Je m'enfonçais un peu plus dans le fauteuil en cuir qui craqua légèrement à cet effet, ce qui détourna l'attention du psy. Je profitais de cette faiblesse pour lui adresser deux clins d'œil appuyés. Gêné, les pointes de ses oreilles prirent une teinte légèrement rosée. C'est confus qu'il retourna prêter oreille aux petits tracas d'Hannah. Comment diable parvenait il à l'écouter ? Ou tout au moins à si bien simuler. J'étais pour ma part à des années lumières de ce qu'elle pouvait bien déblatérer, peu importe le sujet. Si ses paroles n'étaient pas complétées de gestes absurdes, j'en aurais probablement oublié sa présence.
Après quelques minutes pendant lesquelles il feint de prendre beaucoup d'intérêt aux dires de madame en noircissant son calepin, il revint vers moi :
« Bien. Monsieur, dites moi maintenant ce qui vous plait le plus chez Madame. Et le moins ».
Ce petit jeu de questions réponses ne m'éclatait pas. Sans réfléchir, je répondis :
« Ce que j'aime le plus, ce sont les mouvements hypnotiques de son cul. Et ce que j'aime le moins, c'est lorsque ce sont les autres qui en profitent ». Nouveau tressaillement d'indignation.
« Et vous Madame ? Qu'appréciez vous le plus chez Monsieur » ?
Alors là soit il est sado, soit il est payé au débit de paroles. Parce que tendre une perche ainsi à Hannah, ce n'est pas toucher la connerie du doigt mais s'y foutre tout entier.
« Ce que j'aime chez lui … Il peut être parfois très adorable. Pour un tas de futilités. Des détails qui ont un pas mal d'importance. Et puis au lit, c'est plutôt un bon coup .
_ Hum.. Je vois » intervint simplement notre liseur de songes qui avait enfin dû cerner la personnalité de pétasse libérée d'Hannah à en juger par l'expression de dégoût qui décorait sa gueule de pubis défraîchi. Assurée d'intéresser le psy par ses histoires de femme blessée par une enfance douteuse et un appétit sexuel proche de la famine, elle surenchérit :
« En revanche, je hais lorsqu'il se met à boire. Il devient mauvais et il arrive que l'on se batte.
_ Cela vous arrive t-il souvent » ? Me demanda le raccommodeur de couples infidèles intelligemment sans prendre note de la compassion qu'attendait la plaignante.
_ Bah ça dépend ce que vous entendez par boire … Et par souvent … Puis vivre avec une salope qui prend son cul pour une base de loisirs ça n'aide pas vraiment » marmonnais je.
Je sentais l'apprenti Nietzsche en souffrance. Je commençais à m'amuser. J'allais pouvoir montrer ce que je faisais de mieux après glander ; éjaculer ma haine !
Le psy ne m'intimidait pas du tout, à peine s'il m'intéressait et je ne me retenais pas de lui faire savoir. Je scrutais son large front à la recherche de la petite perle de sueur qui trahirait son malaise et me permettrait de le psychanalysait à mon tour. Le retour du coup de fouet. J'attendais ainsi un mouvement, un tout petit spasme de trouble pour l'envoyer valser parmi ses bouquins.
Contre toute attente, c'est pourtant lui qui prît l'initiative de la suite des événements.
« Très bien » conclut il en refermant d'un coup sec son calepin. Indice d'un retour à la réalité merdique.
« Cette séance est maintenant terminée ». On se leva. Il nous guida jusqu'à la porte. Une moue de déception pendait aux lèvres d'Hannah. Je m'en doutais, le médecin des émotions était déjà gavé de ses conneries. Dans le couloir je préparais mes adieux les plus touchants, et mes sincères remerciements pour avoir sauver mon couple à destination du psy lorsque de nouveau il me doubla :
_ « Monsieur, disposeriez vous de quelques minutes supplémentaires à accorder à un entretien d'ordre … privé ? »
Dépassé par une tel audace, je fis volte face et le suivis. Je m 'étais payée sa tronche toute la séance et ce diable en redemandait. Je ne comprenais décidément pas les hommes. Encore moins les faux savants. Ainsi on laissa Hannah dehors, avec sa frustration de n'être qu'une femme. Pas même digne.
Néanmoins une dizaine de minutes plus tard, l'entretien terminé, je pus m'enfuir. Hannah patientait comme elle le pouvait, en faisant les cent pas, balançant son sac à bouts de bras. Le psy nous salua. La porte se referma sur son visage bienveillant. Une fois seul à seul, Hannah ne perdit pas de temps pour m'incriminer :
_ « Tu ne peux pas t'en empêcher. C'est plus fort que toi. Où que l'on aille, il faut toujours que tu fasses l'intéressant, que tu amènes tout à toi.
_ C'est pas ma faute bébé, lui répondis-je, le doc' voulait me voir en privé. Tu as bien vu.
_ Et pourquoi faire ? Qu'est ce qu'il t'a dit ?
_ Rien. Il voulait juste me sucer.
_ Haaaank, sérieux !
_ Je suis sérieux.